MONARCHIE ABSOLUE NE VEUT PAS DIRE POUVOIR ABSOLU
Le terme « absolutisme » a été inventé en 1796 dans un but de propagande contre l’Ancien Régime. L’usage qui en est fait dans les manuels scolaires revient à inculquer aux élèves l’idée d’un pouvoir tyrannique et arbitraire. Tel enseignant, par exempls, explique à ses élèves qu'il existe cinq formes d’absolutisme : la monarchie absolue, le fascisme, le nazisme, la théocratie et le communisme à la manière de Staline. Point commun, selon lui, le pouvoir est concentré entre les mains d’un seul et il implique la suppression des libertés individuelles. Pas étonnant après cela de lire dans des copies d’élèves de terminales les affirmations suivantes : « Avant 1789, l’homme n’avait aucun droit et ne pouvait en aucun cas se défendre». A propos du rapport dominant-dominé : « on peut prendre l’exemple du roi qui utilise les paysans autour du royaume en leur prenant tous leurs biens ». Ou encore : « Sous les monarchies, une simple parole en l’air valait la guillotine ». «Les philosophes des Lumières se sont battus pour faire vivre la liberté et l'imposer à tous les niveaux ».
Le mot absolu est trompeur car la monarchie est bien autre chose que l’absolutisme. Elle ne consiste pas du tout en une suppression des libertés individuelles. Un trait saillant de la conception médiévale est justement la distinction du pouvoir monarchique d’avec la tyrannie. Ce dont témoignent le démocrate Alexis de Tocqueville (1805-1859) : « On aurait bien tort de croire que l’Ancien Régime fut un temps de servilité et de dépendance : il y régnait plus de liberté que de nos jours » et l’historien François Bluche (1993) : « Le monarque absolu n’est ni un tyran ni un despote ». La monarchie absolue, en son temps, n’est pas contestée. L’étude des Mémoires, des journaux intimes, des lettres privées ne révèle pas d’atteinte à la liberté ou de sentiment d’oppression. Jamais la personne du roi ni le principe de sa fonction ne sont remis en cause.
Le roi n’est pas roi pour lui-même. C’est ce que dit Louis XIV : « Nous devons considérer le bien de nos sujets bien plus que le nôtre puisque nous sommes la tête d’un corps dont ils sont les membres ». La devise d’Hughes Capet (941-996) était « Servir ». Parmi les conseils donnés par saint Louis à son fils, on peut lire : « Cher fils, s’il advient que tu viennes à régner, vois à avoir ce qui appartient à un roi, c’est à dire à être si juste que tu ne déclines et ne dévies de la justice en rien qui puisse advenir ». Jean de Salisbury (1159) écrit que le roi est le serviteur de la loi, au service de son peuple et du bien commun.
La monarchie absolue n’est pas une création de Louis XIV. Cela remonte au Moyen-Age. La nouveauté au XVIIème siècle c’est la théorie du droit divin. Le roi n’est plus responsable « devant les hommes » mais seulement devant Dieu. Au Moyen-Age, on disait que le roi tenait son pouvoir de Dieu mais par l’intermédiaire du peuple. Le droit divin supprime la formule « per populum ». Le droit divin signifie alors que le roi reçoit son pouvoir de Dieu seul au sens où tout pouvoir vient de Dieu. Cela signifie aussi que le roi doit régner de manière juste en observant la volonté de Dieu. Il a des comptes à rendre mais à Dieu seul. De plus, la politique centralisatrice de Richelieu et de Louis XIV au XVIIème siècle aura pour effet de renforcer le pouvoir du roi au détriment des pouvoirs féodaux.
Que faut-il donc comprendre par l’expression « monarchie absolue » ? Cela signifie deux choses. Premièrement que le pouvoir royal est souverain, c’est-à-dire qu’il n’est soumis à aucune autorité humaine, ni à l’Empereur ni au Pape. Deuxièmement qu’il est impartagé, c’est-à-dire qu’il est seul à commander et à détenir l’autorité suprême. Il ne partage son autorité avec personne. Néanmoins, le roi est loin d’avoir tous les droits comme on se l’imagine. En pratique, son champ d’action est limité. Il existe d’innombrables barrières qu’il doit respecter. En voici un aperçu : Il doit obéissance aux commandements de Dieu, à la loi naturelle (ex. le droit de propriété), aux lois fondamentales du royaume, aux lois coutumières. Il doit respecter les privilèges (ou droits) des parlements, des cours de justice, des chambres de compte, des assemblées provinciales, de tous les corps provinciaux, municipaux, professionnels, de savants : universités, académies, corps de marchands, d’arts et de métiers, chambres de commerce, corps des auxiliaires de justice, etc… Les magistrats sont inamovibles. Le Conseil d’Etat est présidé par un chancelier inamovible lui aussi. L’Eglise a ses tribunaux, son administration. Dans le Royaume de France, tout est corporatif. Il existe des droits, des privilèges et des coutumes à tous les niveaux. Le roi ne peut les empiéter. On peut dire que la liberté publique est partout. Funck-Brentano (1926) écrit : « La France était hérissée de libertés. Elles grouillent, innombrables, actives, variées, enchevêtrées et souvent confuses, en un remuant fouillis ».
Dans leur vie privée, les sujets sont libres et propriétaires. Le roi ne peut intervenir que si la raison d’Etat l’exige. De toute façon, comme l’explique Michel Antoine (1989), et de façon tout à fait opposée à la société actuelle, « dans certaines provinces, les sujets du roi pouvaient naître, vivre et mourir sans avoir directement affaire à l’Etat ».
L’expression « car tel est notre plaisir » utilisée par les rois depuis Charles VII pour achever leurs lettres patentes ne signifie aucunement que le roi suivait son plaisir personnel. En effet, le mot plaisir, issu du verbe latin « placere » traduit non un caprice, mais une volonté réfléchie, une décision délibérée au service du royaume et du peuple de France. Ajoutons que le roi ne gouverne pas seul. Louis XIV, par exemple, a six ministres et un Conseil du Roi de 130 personnes.
L’Ancien Régime est une société de privilèges. Ce mot a cependant un tout autre sens que celui que nous lui donnons aujourd’hui. Il vient du latin « lex privata » ce qui signifie « loi privée ». Un privilège, c’est la jouissance d’un régime juridique particulier. En clair, il s’agit d’un droit ! Un droit en lien avec une situation particulière.
C’est un paradoxe, mais la conclusion de Jean-Louis Harouel (1987) nous semble forte à propos : « La plus libérale des démocraties actuelles est bien plus absolue que la monarchie dite absolue ». L’Etat moderne intervient énormément dans la vie des citoyens et son contrôle ne cesse de s’étendre.
Cet article doit beaucoup à l’ouvrage de Jean Sévillia : Historiquement correct.