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Eglise, vérité et humanité
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31 juillet 2015

LA CONTROVERSE DE VALLADOLID

  Selon le scénario de Jean-Claude CARRIERE dont fut tiré une pièce de théâtre, puis un téléfilm à succès, le débat de 1550-1551 avait pour but de déterminer si les Indiens étaient des hommes et avaient une âme. Pourtant, cette question n’a jamais été débattue ou même posée lors de la véritable Controverse qui opposa Las Casas à Sepulveda. C’est une fabrication !

  Selon les termes de l’époque, la Controverse avait à l’origine pour objet de « traiter et parler de la manière dont devaient se faire les conquêtes en Amérique, pour qu’elles se fassent avec justice et en sécurité de conscience ». Dans un premier temps on discuta beaucoup pour « savoir s’il était licite pour sa Majesté de faire la guerre aux Indiens avant que la foi soit prêchée ». Enfin on laissa de côté la mise en cause des conquêtes pour ne s’intéresser qu’à leurs fruits religieux, nationaux et d’élargissement de la connaissance de la Terre. Concernant les Indiens, le débat ne porta que sur les moyens de leur évangélisation et de leur promotion à la civilisation qui en découlait. 

  Il est à l’honneur de l’Espagne et de Charles Quint d’avoir fait cet examen de conscience de la légitimité des entreprises menées outre-mer alors que la conquête était en cours. Lewis Hanke, historien de la colonisation sud-américaine : « Ce fut en 1550, l’année même où l’Espagnol était arrivé au zénith de sa gloire. Jamais probablement, avant ou après, un puissant empereur n’ordonna, comme alors, la suspension de ses conquêtes, pour qu’il fût décidé si elles étaient justes … Aucune autre nation coloniale ne fit tant d’efforts, avec tant de constance et même de véhémence, pour déterminer le traitement juste qui devait être donné aux peuples indigènes placés sous sa juridiction ». Et Octavio Paz : « Au contraire de la cupidité, qui est de tout temps et de tout lieu, le désir véhément de convertir n’apparaît pas dans toutes les époques, ni dans toutes les civilisations. Or, ce désir véhément est ce qui donne physionomie à cette époque de la conquête. » 

  L’image donnée de la confrontation est très manichéenne. D’un côté, le bon, Las Casas et de l’autre, le mauvais, Sepulveda. Les témoignages suivants permettent de nuancer.

  Connaughton : « On accuse à juste titre LAS CASAS d’exagérations, inventions fantaisistes et interprétations méta-historiques ». Losada : « Las Casas imputait à son adversaire des intentions et des théories auxquelles celui-ci n’avait même pas songé ». Las Casas conteste la légitimité de la conquête et, pour donner plus de poids à son argumentation, exagère beaucoup les cruautés des conquérants.

   Concernant SEPULVEDA, il est normal que l’homme contemporain soit choqué par les termes de « barbares », de « serfs ou esclaves par nature », de « à peine hommes » qu’il utilise à propos des Indiens. Néanmoins, cela ne signifie pas, selon lui que les Indiens devaient être réduits en servage ou en esclavage. Il propose à leur égard une attitude d’humanité en quelque sorte familiale, faite d’autorité éducatrice ou protectrice. Il écrit : «  Il n’est pas légitime en quelque manière que ce soit de dépouiller de leurs biens ou de réduire en esclavage les barbares du Nouveau Monde que nous appelons Indiens ». Il n’a jamais dit, comme le prétend Las Casas qu’il fallait « se jeter à coups de lance et d’épée » sur les Indiens, et « de cette façon les convertir à la foi ». Tout au contraire, dans son Democrates second, il n’a cessé de s’opposer au baptême par la force, et de souligner que «  la religion chrétienne ne doit pas être prêchée par la violence, mais par l’exemple et la persuasion ».

Sepulveda justifie les guerres de la conquête par la nécessité de mettre un terme aux crimes commis par les Indiens et de libérer leurs victimes potentielles. Il faut garantir également aux missionnaires qu’ils ne seront pas tués par les Indiens qui s’opposent à la prédication. D’où la nécessité, selon lui de réaliser la pacification : «  Il n’existe pas d’autre méthode sûre pour faciliter et rendre effective la prédication de la foi que de soumettre les Indiens à l’autorité espagnole. »

  Sepulveda est un humaniste qui revendique ce que l’on appelle maintenant le droit d’ingérence pour mettre fin à des atrocités bien pires encore, c’est-à-dire les sacrifices humains institutionnalisés par la religion aztèque et qui suscitaient des guerres périodiques pour obtenir les prisonniers nécessaires à ces sacrifices, tandis que Las Casas se résignait à ces sacrifices, au nom du droit à la différence. 

  A propos des sacrifices, on peut parler d’hécatombe. La seule inauguration du grand temple aztèque de Mexico coûta la vie à des centaines de sacrifiés. Il y avait les sacrifices d’enfants où on leur arrachait leur cœur encore palpitant afin d’obtenir les faveurs du dieu de la pluie. Il y avait les sacrifices de jeunes gens élevés spécialement comme on engraisse les animaux avant de les tuer, et dont on arrachait le cœur palpitant  au sommet des temples-pyramides. Puis on les précipitait au bas des gradins, et on leur coupait la tête qu’on piquait sur un pieu, le corps lui-même était dépecé et mangé. Il y avait offerts au dieu Soleil, les sacrifices massifs de prisonniers auxquels on arrachait pareillement le cœur. Il y avait les sacrifices très fréquents au dieu du feu, des prisonniers recouverts d’une poudre qui leur faisait perdre connaissance et qu’on jetait sur un grand tas de braises ardentes, pieds et mains attachés, pour les griller avant de les consommer. 

  Quel est l’apport espagnol ? L’anthropophagie, les immolations et guerres sacrificielles, les oppressions et massacres intertribaux ont été éradiqués totalement d’Amérique par l’évangélisation. Le fer, le blé, l’orge, les chevaux, les mules, les ânes, bœufs, brebis, chèvres, porcs, une grande variété d’arbres, une véritable agriculture avec labours et fumure ont été introduits. L’utilisation de l’écriture que les Indiens ignoraient. La religion chrétienne, des lois nouvelles, un métissage physique et mental ont fait naître un nouveau peuple plus ouvert sur la fraternité et le progrès humain. Selon Octavio Paz, mexicain, fils d’un métis d’Indien et prix Nobel de littérature : « dès  la seconde moitié du XVIème  siècle jusqu’à la fin du XVIIIème, la Nouvelle Espagne fut une société stable, pacifique et prospère ». 

  On peut comparer avec l’Afrique où l’évangélisation plus purement religieuse a laissé subsister  le substrat tribal avec ses oppressions et massacres. Partout des ethnies africaines dominantes tendent encore à y monopoliser les pouvoirs à leur profit.

  Source principale : Jean Dumont, La vraie controverse de Valladolid (1995)

  

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