Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Eglise, vérité et humanité
Archives
24 avril 2016

LA GUERRE QUI A OPPOSE PROTESTANTS ET CATHOLIQUES EN IRLANDE DU NORD EST-ELLE UNE GUERRE DE RELIGION ?

(Article modifié le 1/11/2017) 

  Ce n’est pas la religion elle-même qui est responsable le plus souvent des tensions qui existent entre les hommes. On peut bien sûr mettre en avant des conflits qui ont opposé des croyants de confession différente. Il faudrait aussi parler des valeurs de paix, de respect des autres que les religions ont développé au cours de l’histoire. Ainsi, le second commandement de la religion chrétienne est celui-ci : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (St Marc, 12,13) et l’exigence va encore plus loin lorsque le Christ dit : « Aimez vos ennemis et priez pour vos persécuteurs » (St Matthieu 5,44). N’oublions pas également la rencontre qui a eu lieu à Assise à la demande du pape Jean-Paul II, entre les représentants d’un grand nombre de religions.

   Les causes des guerres et des violences sont d’abord dans le cœur de l’homme, dans son orgueil, sa jalousie, sa cupidité et ses convoitises. Les causes sont ensuite ethniques ou nationalistes lorsqu’un peuple, un Etat veut s’imposer à d’autres. Signalons aussi ces hommes qui, sans aucun sentiment religieux de leur part, ont su au cours de l’histoire et encore aujourd’hui utiliser la religion à des fins personnelles et politiques. Ainsi lorsqu’on parle de guerre de religions, on déforme bien souvent la réalité, car les causes sont d’abord politiques ou sociales. Si les hommes se battent si souvent, ce n’est pas à cause de leurs différences religieuses, mais à cause de différences de nationalités et d’intérêt économique.

  A titre d’exemple, la guerre  qui opposa protestants et catholiques en Irlande du Nord n’est pas d’abord une guerre de religion. Tout a commencé de 1171 à 1175, lorsque l’Irlande tomba sous le pouvoir du roi d’Angleterre Henri II. Au départ, l’Angleterre et l’Irlande étaient deux nations catholiques. Le conflit fut donc d’ordre national. En 1250, les 3/4 du pays sont aux mains des conquérants. L’île entière est sous domination anglaise en 1494.

  Un nouveau pas est franchi avec Henri VIII qui semble parvenir à une assimilation complète de l’Irlande à l’Angleterre puisqu’en 1541 le premier parlement national d’Irlande proclame Henri VIII roi d’Irlande. Cependant, suite à des provocations de la part des protestants anglais, car entre temps l’Angleterre est passé sous influence protestante, les catholiques irlandais se révoltent. La répression est d’une cruauté inouïe. Les autochtones subissent extermination, confiscation de biens et implantation de colons protestants sur une grande échelle, notamment des presbytériens venus d’Ecosse.

  Dans ces conditions, la guerre entre les nouveaux colons et les anciens habitants, celtes et anglo-normands, n’est plus seulement politique mais aussi religieuse. Cependant, et cela est vrai aussi pour le reste de l’Europe, il n’est pas juste de parler de guerre de religions au sens où deux religions se feraient la guerre pour s’imposer l’une à l’autre. En effet, il s’agit de la guerre d’une religion, le protestantisme (ou l’anglicanisme si on préfère), contre une autre religion, le catholicisme.

  Plus tard, en 1641, une grande révolte a lieu et Cromwell, protestant ayant en haine les catholiques, mène à partir de 1649, une répression implacable. Selon les sources, entre le tiers et la moitié de la population est massacré ou conduit comme esclave dans le Nouveau Monde. De 1641 à 1652, la population passe de 1.500 000 à 600 000 habitants. Les terres du nord du pays sont confisquées et attribuées à des colons venus d’Ecosse et d’Angleterre. Les discriminations se multiplient et la pratique de la religion catholique est interdite.

  Pourtant, c’est un protestant, Wolfe Tone (1763-1798) qui génère les premières insurrections favorables à l’indépendance de l’île qui déboucheront sur l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA). Ce que l’IRA combattait, en effet, ce n’était pas la religion protestante, mais la présence britannique et les injustices sociales que subissaient les irlandais d’origine qui se trouvaient être des catholiques ! Il y a guerre de religion lorsque le but est religieux et qu’il s’agit d’imposer une religion à une autre. Les catholiques irlandais ne luttaient pas contre le protestantisme, mais contre des colonisateurs devenus protestants. Dans ces conditions, il n’est pas juste de les accuser de mener une guerre de religion.

  Cette situation d’injustice subie par les catholiques ne justifie évidemment pas les attentats, que les autorités religieuses ont d’ailleurs toujours formellement condamnés comme le souligne cette déclaration de Mgr Daly : « Conscient de mon devoir, en tant qu’évêque catholique, d’enseigner la foi catholique au nom du Christ, je déclare que l’appartenance à l’IRA et la participation volontaire ou la coopération avec ses soi-disant opérations militaires, sont un péché très grave. Toute personne qui souhaite être  ou rester catholique est liée par cet enseignement. »

Publicité
23 février 2016

INQUISITION : C'EST L'EGLISE QUI A ETE LA PLUS TOLERANTE

   "Pendant l’entier premier millénaire de l’Eglise et même jusqu’à la fin du XIIIème siècle, il n’y a pas, en Occident au moins, de persécution par l’Eglise. Les seuls exemples momentanés et particuliers qu’on pourrait donner alors d’une intolérance chrétienne sont marginaux et plus politiques ou sociaux que religieux. Telle est la conversion en partie contrainte des Saxons par Charlemagne.

  St Hilaire proteste dès 365 contre la législation mise en oeuvre par les empereurs romains en faveur de la foi chrétienne rappelant que la persuasion avait été la seule arme du Christ et de ses apôtres, "Fides suadende, non imponenda". A la fin du IVème  siècle, St Martin et St Ambroise protestent fortement contre la mise à mort de l'hérétique Priscillien sur ordre de l'empereur Maxime. St Jean Chrysostome affirme que "mettre à mort un hérétique, ce serait introduire sur la terre un crime inexpiable." St Augustin admet la répression de l'hérésie en voyant les dégâts causés par les donatistes en Afrique, mais sans la peine de mort.

  Il y a bien peu d’institutions qui se soient, comme l’Eglise, maintenues à peu près indemnes d’intolérance pendant plus d’un millénaire.

 Dès les origines du manichéisme, le monarque mazdéen d’Iran et l’empereur païen de Rome n’avaient pas tergiversé. Ils avaient opposé à cet antigène de la société la répression de l’anticorps également le plus radical : la mort. L’Eglise, elle, tergiversa longtemps. Elle montra ainsi clairement qu’elle n’était pas maîtresse d’intolérance. En France, en Angleterre, en Allemagne, le manichéisme a été écrasé par les pouvoirs laïques responsables. La volonté de la répression vient de la société exaspérée, du roi et de la masse de ses sujets et non de l’Eglise. Le pape Alexandre III écrit en 1162 : "Mieux vaut absoudre les coupables que s’attaquer, par une excessive sévérité, à la vie d’innocents … L’indulgence sied mieux aux gens d’Eglise que la dureté."

 Pourtant, alors que la société languedocienne est gravement menacée par l’oppression cathare,   pendant un siècle, du début du XIIème au début du XIIIème, elle ne recourut qu’à la prédication contre les cathares. Elle envoya les cisterciens : St Bernard, selon qui, "la foi doit être persuadée, non imposée", l’abbé Henri de Clairvaux (1181).  Le nouveau pape en 1198, Innocent III, refuse toujours la répression sans pitié menée par les pouvoirs laïques. Il envoie une nouvelle mission de religieux cisterciens. Ils tiennent des débats avec les évêques cathares alors que partout autour d’eux, des catholiques sont persécutés. Les prêtres sont molestés, voire massacrés. L'évêque de Lodève est mis à mort. Eglises et abbayes sont profanées et tombent au pouvoir de la noblesse cathare. La cathédrale d'Urgel est transformée en écurie. Nouvel essai encore en 1205 avec St Dominique qui manque de se faire tuer. En 1208, le légat pontifical Pierre de Castelnau est assassiné par un homme du comte de Toulouse.

  C’est en 1233 que l’Inquisition est établie en appareil efficace par Grégoire IX. Le mandat est donné aux dominicains. Dès 1235, le même pape y associe aussi les franciscains. Point capital : ce qui montre que l’Inquisition n’est pas une armée de bourreaux et de policiers, c’est qu’elle est confiée aux frères des deux ordres mendiants qui venaient tout juste d’être créés dans l’esprit de l’amour, de la tolérance et de la pauvreté. L’Inquisition a eu pour effet de modérer la répression antérieure. St Louis lui assura son concours le plus absolu."

Rédigé principalement à partir de l’Eglise au risque de l’histoire de Jean Dumont.

 

 

21 février 2016

L'INQUISITION CATHOLIQUE

Il existe trois inquisitions catholiques principales : 

1 L’Inquisition contre l’hérésie cathare, par Grégoire IX, à partir de 1229, confiée aux dominicains et aux franciscains. Elle dura un peu plus d’un siècle. 

2 L’Inquisition espagnole, par une bulle du pape Sixte IV, en 1478, contre les juifs faussement convertis. Elle s’achèvera en 1834. 

3 L’Inquisition du Saint-Office, dite Sainte Inquisition, à Rome, en 1542 contre la Réforme. Elle fut mise en sommeil dès le milieu du XVIIème siècle. 

  L’Inquisition catholique est synonyme d’intolérance, de bûchers, de tortures, d’ignominie. Cela c’est la légende noire. On est loin de la vérité. Le nom de la rose  d’Umberto Eco et le film qui en découla ont contribué à entretenir cette légende. Le développement des inquisitions catholiques est cependant le suivant : 

-  Longue période de tolérance contrairement aux autres pouvoirs religieux et politiques, y compris les républiques modernes.

- Situation devenant dangereuse et source de violences. 

- Intervention mesurée et pondérée de l’Inquisition catholique comparativement aux autre inquisitions. 

-  Récupération ultérieure de l'Inquisition catholique par les pouvoirs laïcs et nombreux abus (ex. chasse aux sorcières) 

-  Formation de la légende noire par les ennemis de l’Eglise, tels Voltaire et Michelet.

  Il importe de savoir ce qu’est réellement l’Inquisition catholique : ses causes, son contexte, ses manifestations et ses conséquences. L’équation : Inquisition = bûcher est réductrice et éloigne profondément de la vérité.

  

L’Inquisition languedocienne 

  L’hérésie cathare s’enracine dans le manichéisme. Cette doctrine se développe depuis des siècles et représente pour la société un véritable fléau. Les pouvoirs politiques laïcs l’ont combattue de façon sanglante (Perses, Romains, Byzantins …). Les cathares, eux, se déchaînent contre la foi catholique. Les rois d’Angleterre et de France répriment avec violence l’agression cathare. L’Eglise intervient donc après une longue période de tolérance non pour durcir la répression et inventer les bûchers, mais, au contraire pour temporiser, apaiser et introduire une plus grande justice et le sens de la miséricorde. Innocent IV et Alexandre IV ont ordonné de déposer les inquisiteurs qui avaient fait preuve de cruauté. Robert le Bougre, frère du roi Philippe Le Bel, et lui-même, ancien cathare, est condamné à la prison à vie pour avoir exterminé en un seul bûcher 180 hérétiques. Les peines faisaient l’objet de fréquentes absolutions et amnisties parce que l’objet de l’Inquisition languedocienne était d’abord la réconciliation. Les condamnés à la prison recevaient des congés, avaient droit à des vacances, ou même étaient définitivement libérés s’ils étaient malades, s’ils devaient soigner leur vieux père, ou si leurs filles ne pouvaient se marier en leur absence.  

  Bernard GUY, dans son Manuel, trace de l’inquisiteur ce beau portrait qu’il essaya de réaliser lui-même dans ses fonctions inquisitoriales : « Il doit être diligent et fervent dans son zèle pour la vérité religieuse, le salut des âmes et l’extirpation de l’hérésie. Parmi les difficultés et les incidents contraires, il doit rester calme, ne jamais céder à la colère ni à l’indignation. Il doit être intrépide, braver le danger jusqu’à la mort ; mais, tout en ne reculant pas devant le péril, ne point le précipiter par une audace irréfléchie. Il doit être insensible aux prières et aux avances de ceux qui essaient de le gagner ; cependant, il ne doit pas endurcir son cœur au point de refuser des délais ou des adoucissements de peine, suivant les circonstances et les lieux … Dans les questions douteuses, il doit être circonspect, ne pas donner facilement créance à ce qui paraît probable et souvent n’est pas vrai ; car ce qui paraît improbable finit souvent par être la vérité. Il doit écouter, discuter et examiner avec tout son zèle, afin d’arriver patiemment à la lumière. Que l’amour de la vérité et la pitié, qui doivent toujours résider dans le cœur d’un juge, brillent dans ses regards afin que ses décisions ne puissent jamais paraître dictées par la convoitise et la cruauté. » Jean GUIRAUDL’Inquisition médiévale, Tallandier, p.91 

  Au XIVème siècle, l’Inquisition pontificale s’efface. Elle glisse entre les mains des pouvoirs laïcs qui l’utiliseront pour leurs basses œuvres. C’est le cas de Philippe Le Bel avec les Templiers, des Anglais et des Bourguignons avec Jeanne d’Arc et de la justice royale laïque des parlements. Ainsi, après l’Edit de Fontainebleau de François Ier en 1544, 5000 vaudois sont massacrés en masse l’année suivante par les troupes royales sur ordre du Parlement de Provence. 

  De même, la répression sanglante de la sorcellerie dans l’ensemble de l’Europe (excepté l’Espagne) qui fera des dizaines de milliers de victimes, n’est pas le fait de l’Eglise ; Il est donc important de dénoncer l’amalgame entre l’Inquisition catholique des XIIIème et XIVème siècles et celle appliquée plus tard en France et à l’étranger par des pouvoirs laïcs où le fanatisme se fait jour et dont les historiens du XIXème ont fait une généralité . On est loin des quelques centaines de cathares exécutés dans le cadre de l’Inquisition languedocienne.

  

L’Inquisition espagnole

  Les juifs avaient émigré nombreux dans cette terre d’asile mais ils avaient fini par s’emparer de pans importants du pouvoir de l’Etat et même de l’Eglise en se faisant passer pour convertis. Ils se servaient de ces pouvoirs dominants pour « condamner très souvent ouvertement la doctrine de l’Eglise et contaminer de leur influence judaïque la masse totale des croyants chrétiens » selon l’historien juif Cecil ROTH. De telle manière, note Ludwig VON PASTOR dans Histoire des Papes  qu’ « était en jeu l’existence même de l’Espagne chrétienne ». Il y avait donc lieu de se défendre. L’Inquisition espagnole produisit, elle aussi, des bûchers mais bien moins qu’on ne l’a dit. Selon F. BRAUDEL, elle fit un « nombre relativement limité de victimes » estimé à 1500 sur plusieurs siècles par J. DUMONT. On est très loin des inquisitions d’autres pouvoirs religieux et politiques, notamment modernes et contemporains. Evidemment, il n'est pas question d'adhérer, en aucune façon, à cette pratique violente qui, malheureusement, correspond à des moeurs anciennes encore d'usage à l'époque.

  L'Inquisition espagnole doit cependant être distinguée de l'Inquisition précédente. C'est une inquisition appropriée par le pouvoir politique et qui échappe finalement au pouvoir du pape. Bartolomé BENNASSAR, dans L'Inquisition espagnole, explique qu' " il apparaît clairement que cette nouvelle institution est bien l'affaire des rois d'Espagne et non du pape qui s'est laissé surprendre au début et a manifesté ensuite, bien des fois, mais sans grande énergie, ses réserves ou son opposition. En 1518 il était déjà trop tard : au moment où se déclenchait la grande crise allemande, le pape avait-il les moyens de s'opposer au roi d'Espagne devenu Empereur ? Poser la question c'est y répondre."

  Après sept siècles de domination musulmane et de division, l'Inquisition espagnole a été , en fait, un instrument de la monarchie espagnole pour réaliser  une unité de la population.

  Question posée à Jean DUMONT : D’où vient la légende noire de l’Inquisition, d’où provient le fait que l’Inquisition évoque les autodafés, la torture, les cachots, etc. ?

  Réponse : « C’est vraiment le genre de préjugé entièrement fabriqué ! J’ai habité Séville pendant vingt ans. En 1980, j’y ai vu arriver un grand historien espagnol Antonio Dominguez Ortiz, qui voulait faire une étude sur les autodafés de l’Inquisition de Séville au XVIIème. Il a passé du temps à lire toute la documentation qui pouvait subsister sur le sujet, dans tous les domaines, par tous les témoins, etc. Il a découvert des choses pour lui incroyables jusqu’alors, qu’il explique dans un livre publié en 1981, et où il fait la lumière par rapport à tout ce qu’on a pu raconter sur les prisons de l’Inquisition où l’on mourait disait-on dans la pourriture et dans la folie, mangé par les rats,… parce que, bien entendu, c’était la prison à perpétuité … Or, les peines de prison perpétuelle et de prison irrémissible dans l’Inquisition aussi bien française qu’espagnole, sont des formules scolastiques, la réalité n’étant pas du tout cela ! La prison perpétuelle correspond en fait à un emprisonnement de cinq ans maximum, et la prison irrémissible, qui est la plus grave, à un emprisonnement de huit ans maximum. D’autre part, comment se passait cet emprisonnement ? Dominguez Ortiz en est tombé à la renverse, ayant devant les yeux les vrais documents. Dans la prison inquisitoriale d’exécution des peines de Séville, les prisonniers ne se servaient de la prison que comme d’un hôtel de nuit : ils avaient le droit de sortir tous les jours, depuis le lever du jour jusqu’au coucher du soleil, pour se promener dans la ville et vaquer à leurs affaires. Dominguez a voulu contrôler si ce n’était pas un hasard extraordinaire et il s’est aperçu que, par exemple à Grenade, c’était exactement la même chose : la prison inquisitoriale de Grenade était une prison ouverte entièrement de jour. Les chambres n’étaient pas du tout des cachots abominables : à Séville c’étaient des chambres individuelles, avec leurs petites cours-jardins personnelles ! Travaillant sur le cas des prisonniers de l’Inquisition à Séville, il a constaté que cette liberté des prisonniers avait des conséquences extraordinaires. Une première d’ordre fiscal : comme ils étaient juridiquement des prisonniers, ils ne payaient pas la TVA de l’époque qui s’appelait l’alcabala. Ce qui fait qu’ils avaient un avantage extraordinaire pour toutes les affaires qu’ils traitaient pendant leurs sorties quotidiennes et que comme cela marchait très bien, comme ils avaient un bon hôtel gratuit d’où ils sortaient tous les jours, ils désiraient y rester ! C’est invraisemblable, et pourtant même après la durée normale de leur peine, ils insistaient pour rester dans la prison de l’Inquisition ! Voilà ce que l’étude des documents et notamment des textes notariaux de l’Inquisition espagnole permet d’établir. Mais qui, des historiens français a été lire ces textes du XVème ? Personne ! Alors, ils répètent toujours les mêmes choses depuis Voltaire. Repentance, p.283-285 

  Ce qui montre, dans cette inquisition, qu’il ne s’agit pas d'une volonté de l'Eglise elle-même de s’en prendre à la religion juive en tant que telle, c’est que, dans le  même temps, les juifs expulsés étaient accueillis sur les terres des papes d’Avignon avec la liberté de culte.

  

L’Inquisition du Saint-Office

  Comme les deux inquisitions catholiques précédentes, la languedocienne et l’espagnole, elle fut, dans un pays particulier, la légitime défense, italienne cette fois, contre une agression violente : celle de la première Réforme qui, de l’Angleterre à l’Allemagne, en passant par la France, la Suisse et tout le nord de l’Europe, massacrait et détruisait, au point de dépasser largement, note R. PERNOUD, les destructions futures de la Révolution. On estime à une quinzaine les victimes de cette inquisition. A la même époque, CALVIN, en 1535, à lui seul fait brûler une soixantaine de sorcières à Genève (sur 2 à 3000 habitants). Malheureusement, cette Inquisition romaine eut lieu au cours d’une période très trouble où l’autorité des papes était concurrencée par des influences diverses. Elle dévia, par exemple, vers le procès de Galilée alors que celui-ci était pourtant un ami personnel du Pape Urbain VII qui le prendra sous sa protection. 

  Il y a donc un paradoxe. Le mot « inquisition » est attaché à l’Eglise comme symbole d’intolérance et d’obscurantisme alors qu’elle a fait preuve d’humanité et de modération comme aucune autre institution au cours de cette longue période. Ce qui montre que l’Inquisition n’est pas une armée de bourreaux et de policiers, c’est qu’elle est confiée aux frères des deux ordres mendiants qui venaient tout juste d’être créés dans l’esprit de l’amour et de la miséricorde. Rappelons aussi que Saint Louis assura son concours à l’Inquisition.

 

  Marc BLOCH (grand historien laïc fusillé par les allemands) : « Les grandes ténèbres du Moyen-Age sont surtout celles de notre ignorance »

Stanislas GRYMASZEWSKI

 

20 février 2016

INQUISITION ET TORTURE

  La torture est une pratique universelle largement répandue comprenant des degrés divers, atténués ou extrêmes. Elle ne fait pas partie de l’apport de l’Eglise. Bien, au contraire, l’influence du christianisme a participé grandement à faire reculer cette pratique, comme d’ailleurs les autres formes de violence. L’originalité de l’enseignement de l’Eglise est d’exhorter à l’amour, à la paix, au pardon, au respect de la dignité humaine il existe une longue tradition ecclésiastique contre l’usage de la torture alors que celle-ci était d’usage courant dans les justices séculières. En 886, le pape Nicolas Ier déclarait que ce moyen « n’était admis ni par les lois humaines ni par les lois divines ». -H.MAISONNEUVE, L’Inquisition, p. 160-

  Pourtant, l’Eglise est confrontée à des contextes et à des évènements qui peuvent l’amener à composer avec son époque jusqu’à admettre des pratiques –à tort ou à raison- qui ne viennent pas d’elle. Elle-même, est traversée par l’évolution des mœurs et des mentalités du monde. Comme toute institution, elle est marquée par son temps. Or, au XIIIème siècle, le développement du droit romain provoque le rétablissement de la torture dans la justice civile. C’est l’université de Bologne, première université indépendante de l’Eglise, qui rétablit le droit romain et, avec lui, son usage de la torture -Histoire du Christianisme Magazine(HCM) n°7, p.9- « Il est juste de noter que la torture se pratique couramment à cette époque dans les juridictions laïques » -J.L. BIGET, H.C.M. n°21, p. 57-

  C’est là aussi qu’il faut éviter le péché majeur de l’histoire : l’anachronisme. On ne juge pas des mœurs d’hier selon les critères d’aujourd’hui. La sensibilité du XXème siècle n’existait pas au Moyen-Age. Le rapport de l’homme médiéval à la souffrance est différent du nôtre. Celle-ci est  bien mieux acceptée et mieux supportée. Le principe de la torture ne révolte pas comme de nos jours. 

  C’est dans ce contexte, complété par l’état d’une société délabrée et gravement menacée par les hérésies et sectes de toutes sortes, notamment celle des cathares qu’il faut comprendre la légalisation de la torture par Innocent IV (1252), Alexandre IV (1259) et Clément IV (1265). 

  Les conditions sont précises et l’usage doit être modéré et limité. Par décision du Pape Clément V (1311), l’inquisiteur ne peut l’ordonner seul : la torture doit faire l’objet d’un jugement spécial auquel participe l’évêque ou son représentant. Si elle est ainsi décidée, il est interdit à l’inquisiteur de la faire pousser jusqu’à la mutilation ou à la mise en danger de mort. -J. DUMONT, L’Eglise, au risque de l’histoire, p. 215- 

  L’emploi de la torture n’a pas été fréquent. Depuis deux siècles, il existe une légende noire de l’Inquisition réduisant celle-ci aux clichés de la torture et des bûchers. Galilée, par exemple, n’a jamais été brûlé vif, ni torturé comme cela est souvent répété. L’historien danois HENNINGSEN relate que contrairement à toutes les institutions judiciaires de l’époque, l’Inquisition n’utilisait pas habituellement la torture. Non seulement parce que « Ecclesia abhoret a sanguine » (L’Eglise a horreur du sang) mais aussi parce que « l’Inquisition se montrait sceptique sur la valeur de la torture comme moyen pour obtenir des preuves. » -Trente-Jours, juin 1990, p. 69- L’historien protestant LEA, connu pour être très hostile à l’Inquisition écrit qu’ « il est digne de remarquer que dans les fragments de procédure inquisitoriale qui nous sont parvenus, les allusions à la torture sont rares ». -Hist. de l’Inquisition au Moyen-Age-. Elle est même rarissime dans l’Inquisition espagnole. 

  Il importe enfin de ne pas attribuer à l’Eglise les excès de l’Inquisition dus aux souverains qui ont détourné à des fins politiques le tribunal de la foi comme ce fut le cas pour les Templiers par Philippe le Bel ou le procès de Jeanne d'Arc par les Anglais et les Bourguignons. Même remarque en ce qui concerne la chasse aux sorcières de la fin du XVème jusqu’à la fin du XVIIème, phénomène principalement laïc et aussi protestant, encouragé par Luther et Calvin. 

 

30 octobre 2015

LA LOI SALIQUE

                                                                               

   Elle est parfois invoquée pour argumenter en faveur de la misogynie de l’Eglise qui aurait ainsi empêché par son influence que les femmes puissent accéder au trône de France. En fait, tout est faux dans ces allégations. Cette « loi », à l’origine n’est pas une loi de constitution politique et elle ne vient pas de l’Eglise. Il s’agit là d’une légende à partir de la création d’un faux au début du XVème siècle. On ne peut effacer d’un trait reines et régentes sans oublier les abbesses qui exercèrent réellement le pouvoir sur les terres chrétiennes d’Europe pendant plus de mille ans depuis les premiers Francs saliens. Dans tous les grands fiefs, à un moment ou à un autre, des femmes ont gouverné.  Illustrons par des reines des premières dynasties, mères souveraines dans la minorité de leurs enfants : BRUNEHILDE et FREDEGONDE, par des veuves héritières du royaume : NANTHILDE, BATHILDE, BERTRADE, par la présence au pouvoir de BLANCHE DE CASTILLE, d’ANNE DE BEAUJEU, désignée par son père LOUIS XI comme régente durant la minorité de CHARLES VIII, d’ANNE DE FRANCE, de LOUISE DE SAVOIE ou de CATHERINE DE MEDECIS. De 1160 à 1261, sept femmes se sont succédé à la tête du comté de Boulogne. MAHAUT II, comtesse de Nevers, mariée au duc EUDES IV DE BOURGOGNE, partage en mourant ses Etats entre ses trois filles. JEANNE Ière, comtesse de Champagne et de Brie, reine de Navarre, conserve personnellement ces fiefs et ce royaume, bien que mariée à PHILIPPE LE BEL. PIERRE DE DREUX, dit MAUCLERC (1190-1250), ne dû qu’à son mariage avec la duchesse héritière de Bretagne, d’obtenir la couronne ducale. La comtesse MATHILDE règne sur la Toscane et l’Emilie pendant un demi-siècle (1076-1125). JEANNE Ière est reine de Naples au XIVème siècle pendant près de 40 ans. De même, le royaume franc de Jérusalem connaîtra de nombreuses souveraines, comme MELISENDE et ses petites-filles SIBYLLE et MARIE. Les exemples sont innombrables.

  La loi salique fut rédigée à la fin du règne de CLOVIS, entre 507 et 511. Elle fait partie d’un des « codes barbares » dont les peuples germaniques se dotèrent de concert à la fin du Vème siècle. Burgondes, Bavarois, Wisigoths, Lombards, Alamans et les fameux Francs saliens. Elle devait être complétée ensuite pendant toute l’époque franque. Elle se présentait comme un accord conclu entre les Francs et leur chef et s’inscrivait dans le contexte chrétien du roi pacificateur. Après l’époque carolingienne, elle ne fut plus guère d’actualité. C’est un texte qui relève du droit privé et qui n’a rien à voir avec une constitution politique. L’article de loi qui servit plus tard à bâtir la fable de l’exclusion des femmes du trône de France traite des « alleux », terme qui désigne les biens propres. Voici ce qu’il indique : « Concernant la terre salique, qu’aucune portion de l’héritage n’aille aux femmes, mais que toute la terre aille au sexe masculin. » Non seulement il n’est pas question ici d’une quelconque transmission du pouvoir, mais l’adjectif « salique » ne désigne qu’une portion de l’héritage, celui de la terre ancestrale. Or, au Vème siècle, les premières terres « ancestrales » des Francs saliens à l’ouest du Rhin étaient des tenures militaires, concédées par le fisc impérial aux soldats frontaliers pour leur service armé, et donc réservées aux hommes.

  Contrairement à ce que l’on croit généralement, ce ne fut pas la loi salique mais des coutumes qui permirent de régler les problèmes de dévolution de la couronne au début du XIVème siècle. Il se trouve que, pendant plus de trois siècles, les capétiens ont toujours eu des fils pour leur succéder. En 1316, cependant, mourait LOUIS X LE HUTIN, fils aîné de PHILIPPE IV LE BEL. Il ne laissait qu’une fille, mais sa seconde épouse, était enceinte. Il fallait attendre la naissance pour décider de la succession. L’enfant fut un fils qui mourut au bout de peu de jours. PHILIPPE, le second fils de PHILIPPE LE BEL, se fit sacrer alors roi à Reims. Ainsi, bien que des femmes aient été admises à succéder à la couronne dans certains royaumes et puissent, en France, succéder aux fiefs selon certaines coutumes, JEANNE DE NAVARRE fut exclue de la succession au profit de son oncle. La coutume de masculinité était désormais formulée officiellement bien qu’elle existât déjà. Le précédent se répéta et la coutume fut bien établie. PHILIPPE V LE LONG mourut en 1322 ; il ne laissait, lui aussi, que des filles et son frère, CHARLES IV, lui succéda sans contestation. Le principe de la masculinité fut dégagé par l’analyse de la pratique : les précédents montraient qu’une fille, fut-elle l’aînée, n’avait jamais occupé le trône et que le fils puîné lui avait toujours été préféré. Sous la dynastie capétienne, des usages répétés formèrent cette coutume. Pour renforcer cette solution tirée de la pratique, mais non pour la fonder, un certain nombre d’arguments purent être invoqués tel celui du droit romain qui excluait les femmes des offices publics. La crainte était qu’une femme venant à la couronne, celle-ci tombe en la domination  de quelque étranger par mariage. C’est bien ce problème de succession qui est d’ailleurs à l’origine de la Guerre de Cent Ans.

  La loi salique ne fut exhumée qu’en 1358. Elle ne fut donc pas invoquée lors des successions des fils de PHILIPPE LE BEL. Après la mort de CHARLES VI, deux prétendants se trouvent en lice, EDOUARD III, roi d’Angleterre et PHILIPPE DE VALOIS. C’est dans ce contexte que JEAN DE MONTREUIL produit, en 1408 ou 1409, le faux en écriture : la loi salique nouvelle version. Elle lui permet de conforter la légitimité des VALOIS contestée depuis qu’ils se sont emparés du trône au détriment de JEANNE DE FRANCE, fillette de 5 ans et unique héritière en droite ligne de la Couronne. Et d’écarter juridiquement les femmes du pouvoir. En changeant simplement, dans le texte original de l’article 6 de la loi salique, le mot « terre » par le mot « royaume » pour signifier que la disposition avait bien un sens politique. Puis, pour finir, d’imposer aux souverains une loi qui leur préexiste, sur laquelle ils n’ont donc pas de prise. Il pensait renforcer ainsi la position du roi de France face aux prétentions anglaises puisque l’antiquité de cette disposition leur apparaissait plus convaincante que l’origine coutumière des règles de dévolution du trône. A partir de cette date rien n’arrêtera la légende.

  Cette même confusion de la règle de masculinité et de la loi salique apparaît encore dans « l’Arrêt dit de la loi salique » rendu le 23 juin 1593 par le Parlement de Paris, un mois avant l’abjuration d’HENRI DE NAVARRE, pour sauvegarder l’avenir du trône, n’ignorant plus l’intention du béarnais de devenir catholique. Là aussi, la loi salique modifiée sert d’argument d’autorité pour faire face à une grave crise : les guerres de religion. Tout cela, évidemment, n'a rien à voir avec une quelconque volonté de l'Eglise d'écarter les femmes du trône.

 

  Pour aller plus loin :

 Eliane VIENNOT, professeur à l’université de Saint-Etienne et présidente de la Société internationale pour l’étude des femmes de l’Ancien Régime, La France, les Femmes et le pouvoir - L’invention de la loi salique (Vème - XVIème siècle), Perrin, 2006.

  Ivan GOBRY, professeur aux universités de Poitiers puis de Reims, spécialiste de l’histoire médiévale, La Civilisation médiévale, Tallandier, 1999.

  Régine PERNOUD, La femme au temps des cathédrales, Stock, 1980

                                                            

Publicité
25 octobre 2015

LES "GUERRES DE RELIGION" EN EUROPE DE L'OUEST AUX XVIème et XVIIème SIECLES SONT-ELLES BIEN NOMMEES ?

  En France, huit conflits (1562-1598)

  En Allemagne, la guerre de Trente Ans (1618-1648)

  Dans la mémoire collective, elles se réduisent au massacre de la Saint-Barthélemy par les catholiques (1572) et à la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV (1685). Le manichéisme est évident, les catholiques apparaissent comme intolérants et fanatiques, les protestants comme victimes. En fait, le thème des guerres de religion, comme d’autres événements du passé est utilisé pour donner une image négative du catholicisme et ainsi le discréditer aux yeux de l’opinion. Face à cela, nous apportons ici des informations peu diffusées de nature à changer profondément le regard que l’on porte sur ces événements et leurs acteurs.

  L’expression « Guerres de religion » s’est imposée à partir du XIXe siècle sous l’influence de Michelet et de ses héritiers, historiens défavorables au catholicisme. Avant Michelet, les  « guerres de religion » étaient simplement appelées guerres civiles. On parlait aussi du « temps des troubles ». Les « guerres de religion » en France, mais aussi en Allemagne et en Angleterre ont été en fait des guerres civiles pour le contrôle du pouvoir. La religion y a certes joué un rôle important mais il ne s’agit pas plus de guerres de religion que de guerres politiques.

  Contrairement à ce qu’ont prétendu les discours protestants à l’UNESCO à Paris en 1998, les idées de tolérance et de laïcité étaient étrangères aux protestants de l’époque. Ce qui domine, c’est le principe « cujus regio, ejus religio », ce qui signifie « un roi, une religion ». Les protestants veulent imposer leur religion et s’emparer de l’Etat. L’agression vient du protestantisme et la violence catholique est, à beaucoup d’égard, une réaction instinctive de légitime défense.

  Les guerres de religion représentent finalement un conflit pour le contrôle de l’Etat. Il y a une lutte acharnée pour le pouvoir. Les crises religieuses sont utilisées pour des ambitions politiques. Partout en Europe, le protestantisme a été imposé aux peuples par les rois, les grands seigneurs et leurs armées. On rompt avec Rome, on saisit les biens de l’Eglise et on désigne de nouveaux pasteurs dépendants du pouvoir civil. C’est le cas des Etats allemands, du Danemark, de la Norvège, de l’Islande, de la Suède, de l’Angleterre où Locke, chantre de la tolérance la refuse aux catholiques et où Cromwell, en 1649, fait massacrer ou vendre comme esclaves 40 000 irlandais catholiques. Dans les Provinces Unies, de 1610 à 1700, la proportion des calvinistes passe de 20 à 85%. A Genève, Calvin instaure un Etat théocratique dictatorial. L’intolérance religieuse dans les pays protestants se poursuivra jusqu’à la fin du XIXe siècle.

  L’aspect politique de ces conflits ressort cependant lorsqu’on voit des Etats catholiques soutenir des Etats protestants contre d’autres Etats catholiques, eux-mêmes alliés à des Etats protestants ! 

 

  En France

  Le protestantisme français, au XVIe siècle est calviniste, sectaire, intolérant, brutal, provocateur, conquérant. Calvin, fanatique et même cruel, ne pouvait que conduire aux guerres de religion. L' iconoclasme des calvinistes détruit une grande partie du patrimoine français. Les protestants ont pratiqué sur les églises, les monastères et les objets de culte un vandalisme supérieur à celui des révolutionnaires de 1793. 20 000 églises ou monastères ont été endommagés ou détruits. Parallèlement, les massacres et les atrocités se multiplient, notamment à l’égard des prêtres et des moines. Le massacre dit de « La Michelade » à Nîmes en 1566, six ans avant la Saint-Barthélemy, fait plusieurs centaines de victimes. A Montbrison, puis à Morna, en 1562, les vaincus sont précipités du haut des murailles sur les piques des soldats.

  Un véritable Etat se forme dans l’Etat. C’est un contre-pouvoir. Il est le fait de la noblesse (50%). Les huguenots négocient avec des Etats étrangers tel que l’Angleterre. L’Etat français est mis en péril. Ils apparaissent comme des comploteurs. Ce sont eux qui lancent la plupart des guerres dites « de religion » pour étendre leurs avantages acquis. Chaque conflit se termine par un traité leur garantissant la liberté de culte et plusieurs places fortes. A deux reprises, ils vont jusqu’à tenter l’enlèvement du roi : François II en 1560 et Charles IX en 1567. La même année, Paris subit un siège humiliant de leur part. La Saint-Barthélemy est condamnable, bien sûr, mais elle trouve un terreau dans la peur et l’exaspération du peuple catholique produites par des années d’agressions, de destructions et de provocations. Elle est déclenchée non pour des motifs religieux mais politiques et humains.

  L’Edit de Nantes en 1598 n’était pas meilleur, pas plus tolérant que les précédents, mais il tint car la France était lasse et usée par tant de conflits. Il y avait alors 1 200 000 réformés pour 20 millions de catholiques.

  La tolérance protestante est un mythe. Mieux, l’étude des faits révèle que la France et l’Allemagne catholiques ont reconnu et toléré le protestantisme, ce qui, inversement, n’a pas été le cas du côté des pays protestants. Il n’y a guère qu’en France qu’il y a eu le statut d’une certaine tolérance civile, y compris avant l’édit de Nantes. La France, à l'époque, est le seul pays à avoir admis le dualisme religieux. La révocation de l’édit de Nantes, si condamnable soit-elle, ne rend pas Louis XIV plus intolérant que les souverains des Etats protestants qui, eux, ont pratiqué la répression dès leur arrivée au pouvoir. Le motif n’est pas religieux mais politique. Louis XIV veut consolider l’Etat et achever son unité. N’oublions pas qu’au moment où il abolissait la liberté des protestants dans son royaume, le roi de France était en conflit aigu avec Rome. Le gallicanisme était en passe de devenir un système  politico-religieux contre la volonté du Pape Innocent XI, par ailleurs fort affligé de la révocation de l'Edit de Nantes.

 

24 août 2015

PETIT APERCU DE L'APPORT DE L'EGLISE A L'EUROPE ET A L'HUMANITE

  Notre société serait plus dure aujourd’hui et moins juste s’il fallait retirer d’un coup de baguette magique ce qu’elle doit au rôle civilisateur de l’Eglise qui a travaillé depuis 2000 ans à former les esprits et les cœurs. C’est elle qui est à l’origine des deux piliers de la civilisation : l’amour et le respect de la personne humaine, car Dieu-Trinité est « Amour » et l’homme a été créé « à son image ». Ces « vérités révélées » sont devenues le fondement de la dignité inviolable de la personne humaine.  C’est ici que les idées de fraternité, d’égalité et de liberté et des Droits de l’homme trouvent leur source.  Régis Debray, auteur non chrétien, rapporte dans un ouvrage récent que le mot fraternité est un mot latin apparu au IIe siècle chez les auteurs chrétiens par la grâce d’un « Dieu Un qui nous en a fait don en nous créant à son image » (Le Moment fraternité, Gallimard, 2009).  L’humanisme et la démocratie reposent à la fois sur la culture gréco-latine et sur l’héritage judéo-chrétien. A l’Eglise, on doit la lutte pour le respect de la vie. C’est elle qui recueillait à Rome les bébés qu’on abandonnait sur la place publique. L’infanticide, spécialement des petites filles, était une chose habituelle dans l’Empire romain. L’Eglise a mis fin à cette pratique. Aujourd’hui encore, elle défend la vie à naître.

  Les moines ont défriché l’Europe. Ils ont fondé les écoles et les hôpitaux. On ne compte plus les congrégations religieuses qui se sont dévouées pour l’instruction, les soins aux malades, aux vieillards, aux orphelins et l’assistance aux plus pauvres, jusque dans les pays lointains.  La civilisation chrétienne a été la première civilisation non esclavagiste. L’esclavage, en effet, a disparu progressivement au cours du Moyen-Age pour réapparaître à la Renaissance.

  Au cours de la même période, l’Eglise a libéré la femme de sa condition d’infériorité, héritage de l’Antiquité, pour l’amener au rang d’une égale dignité avec l’homme, rang qu’elle perdra là aussi avec le phénomène de déchristianisation qui s’amorce à la Renaissance.  Le mariage chrétien, en impliquant  1°) l’égalité de dignité entre l’homme et la femme « Il n'y a plus ni homme ni femme ... » 2°) la monogamie 3°) le libre choix des partenaires 4°) leur consentement mutuel 5°) l’acceptation de la responsabilité conjugale et parentale dans la fidélité, a été source d’un grand progrès humain, mais il a fallu attendre plusieurs siècles pour que l’on puisse enfin se marier par amour. Si les décrets du Concile de Trente (1563) furent refusés en France, c’est précisément parce qu’ils réaffirmaient la liberté totale du consentement des époux et leur égalité.

  N’oublions pas l’institution de la Chevalerie et l’invention de la « Paix de Dieu » au début du XIe siècle, pour lutter contre les guerres privées, l’apport de l’Eglise dans les domaines de la spiritualité, de la culture et de l’art.  N’oublions pas également que les sciences expérimentales ont jailli et se sont développées exclusivement en Europe à partir du XVIe et du XVIIe siècle, ce qui a fait dire à Paul Valéry que « le christianisme a couvé la science ».  Terminons par l’image du roi Louis IX (St Louis) participant chaque jour à la messe et nourrissant lui-même les pauvres. 

  Aujourd’hui, dans le monde entier, l’Eglise est la principale institution non étatique à œuvrer en faveur des plus démunis. A titre d’exemple, en Afrique, elle fournit 42% des structures sanitaires et en Ethiopie 1% de catholiques fournit 90% de l’aide sociale du pays (N. Buttet, Fam. Chr. du 1/04/2017). Mentionnons également cette déclaration de Mgr Barragan à l’ONU du 27/06/2001 : « L’Eglise catholique assure 25% du total des soins donnés aux malades du sida dans le monde entier, ce qui l’accrédite comme le meilleur soutien des Etats dans la lutte contre cette maladie. »

  Notre propos est simplement de montrer que les fruits de la foi chrétienne peuvent être reconnus par la raison et susciter la sympathie et, pourquoi pas, l’admiration et la gratitude par les incroyants eux-mêmes.

 

16 août 2015

POUVOIR ABSOLU DE L'EGLISE ?

  En s’appuyant sur l’idée que l’Eglise était autrefois toute-puissante, un certain nombre de personnes rendent volontiers celle-ci responsable de tout ce qui a été négatif dans le passé. Pourtant, l’Eglise n’était pas seule à l’œuvre. D’une part, il y avait les mœurs préchrétiennes toujours plus ou moins présentes. Ensuite, il faut prendre en compte la faiblesse de la nature humaine qui concerne les chrétiens comme les autres hommes. Egalement, ce n’est pas parce qu’une société est dite chrétienne que tous les baptisés se tournent en vérité vers le Christ pour se laisser transformer en profondeur par la grâce. Enfin, l’Eglise est en permanence confrontée à des puissances temporelles : seigneurs, rois, empereurs, chefs d’Etat, qui entravent son action, et s’immiscent dans ses affaires internes jusqu’à son plus haut sommet. Il faut savoir qu’un grand nombre  d’abbés, d’évêques ont été installés par les puissances temporelles  et non par l’Eglise. Il y a une multitude d’exemples à cet état de fait. En voici une liste très partielle. Nous espérons qu’elle aidera à prendre conscience que l’Eglise n’avait pas cette liberté et ce pouvoir absolu qu’on lui prête si souvent.

 

  -  Au IVe s, les empereurs imposent des évêques ariens. L’empereur Constantin demande à Athanase, évêque d’Alexandrie, d’admettre à nouveau Arius dans l’Eglise. Athanase refuse. En 335, les partisans d’Arius réussissent à faire déposer Athanase au Synode de Tyr. Il part en exil à Trèves et ne pourra retrouver son siège épiscopal qu’après la mort de Constantin en 337.     

  -  En 404, l’empereur Arcadius chasse Jean Chrysostome, le plus célèbre prédicateur de l’Orient, de son siège de patriarche de Constantinople et l’envoie en exil.

  -  Les rois, à l’exemple des empereurs byzantins dirigent très tôt l’Eglise. Ainsi, en 511, Clovis réunit un concile à Orléans et se présente comme le chef de l’Eglise de Gaule. Ses successeurs continuent à réunir des conciles avec l’accord des évêques. Ces derniers ne peuvent qu’approuver car ils sont nommés par le roi. Ce sont souvent d’anciens fonctionnaires qui ont fait leurs preuves à la cour. (Hist. Christ. n°2, p.82)

  -  Justinien, empereur romain d’Occident (527-565), fait arrêter le Pape.

  -  Dès son élection au siège de Rome, Martin Ier s’oppose à l’empereur byzantin à propos du monothélisme (une seule volonté dans le Christ). Le 19 juillet 653, le pape est arrêté dans la basilique de Latran où il s’était réfugié. Après un voyage au cours duquel on le brutalise, puis un emprisonnement de trois mois, il est soumis à un procès politique pour rébellion contre l’empereur. Il est envoyé ensuite en exil en Crimée où il meurt en 655, brisé par les épreuves dues à sa résistance face à l’ingérence impériale dans les affaires de la foi.

  -  A Rome, le Xe s. est une période très troublée. Entre 896 et 904, huit papes sont assassinés ou emprisonnés. Dans les premières décennies du siècle, l‘aristocratie romaine prétend défendre ses prérogatives sur l’institution pontificale (HC n°3, p.8)

  -  Otton Ier, couronné empereur en 962, associe étroitement l’Eglise à son gouvernement en investissant les évêques qu’il choisit du pouvoir de commandement sur leurs terres. Il contrôle l’élection pontificale et dépose plusieurs papes qu’il juge indignes (HC n°2, p. 102)

  -  Otton III place sur le siège pontifical son ancien maître, Gerbert d’Aurillac, qui a pris le nom de Sylvestre II. Tous deux meurent en 1002.

  -  XIe s. Les princes investissent des évêques sans demander l’avis de Rome. Le pape Grégoire VI est exilé. L’empereur Henri IV veut déposer le nouveau pape Grégoire VII. Il est excommunié. L’empereur se soumet, puis se ravise. Il occupe Rome, fait élire un antipape. Grégoire VII meurt en exil en 1085 (Fam. Chrét. N°1146, p.8).

  -  XIe s. L’Eglise est de fait aux mains des laïcs nobles qui nomment curés, évêques et abbés sans souvent se soucier de leur valeur morale et spirituelle. Quant au pape, il tend à devenir le chapelain du Saint Empire Germanique (H.C. n°3, p.19).

   -  XIIe s. Rébellion contre le pape Alexandre III, de l’empereur allemand Frédéric Barberousse (1152-1190) qui rêve de dominer l’Europe. Il suscita contre l’Eglise des papes, des antipapes, chassa par les armes le Souverain Pontife de Rome et le força à vivre plusieurs années en exil. Il se moqua des excommunications, fomenta des schismes et tenta d’asservir entièrement le clergé au pouvoir civil. Six guerres successives. C’est au fil de cette querelle que la papauté a forgé son pouvoir partiellement temporel par nécessité politique. (Jean Guiraud, L’Inquisition médiévale, page 76)       

  -  L’évêque de Cracovie, Stanislas, est assassiné d’un violent coup d’épée en 1079 au cours d’une messe par le roi Boleslas II lui-même pour avoir osé pris position contre ses mœurs dissolues, notamment des rapts et des viols et pour l’avoir excommunié.

  -  Henri II, roi d’Angleterre, veut utiliser Thomas Becket pour asseoir sa politique et sa prédominance sur l’Eglise. Celui-ci s’oppose aux prétentions royales afin de maintenir les droits du pape. Il est assassiné en 1170 (H.C. n°3, p.12).

  -  Johannes Joergensen, l’un des premiers biographes de François d’Assise rappelle que « ni le siècle de la Réforme ni l’époque de la Révolution n’ont été plus hostiles au pape et à l’Eglise que les premières années du XIIIe siècle » : le pape est insulté, outragé, tantôt enfermé chez lui, tantôt expulsé de Rome ; à Assise même les habitants préfèrent incendier la citadelle impériale plutôt que d’y voir le pontife. Le calendrier chrétien a été remplacé, les sectes et les hérésies se répandent partout  (d’Orcival, Valeurs Actuelles du 21/03/13).

  -  Depuis longtemps, au XIIIème siècle, les papes évitaient de résider à Rome même à cause des menaces que les nobles romains faisaient peser sur eux.

  -  Frédéric II, empereur germanique de 1212 à 1250, est excommunié en 1227, puis en 1239.

  -  L’empereur tend à outrepasser son rôle traditionnel de protecteur de la papauté puisqu’il nomme quasiment seul le successeur de Pierre. La lutte de la papauté pour recouvrer son indépendance est longue, confuse et parfois violente. L’investiture laïque qui permet aux empereurs de nommer évêques et abbés et qui empêche les papes de choisir leurs représentants débouche sur la Querelle des Investitures. Il faut attendre 1254 pour que le pape Innocent IV soit considéré comme le véritable chef de la chrétienté (H.C. n°3, p.20).

  -  Le 7/09/1303, le chancelier de Philippe le Bel, Guillaume de Nogaret, fait gifler le pape Boniface VIII à Anagni. Moralement abattu et accablé, celui-ci trépasse quelques jours plus tard.

  -  Oct.1303, un nouveau pape est élu. Il est contraint de quitter Rome tombée aux mains des Colonna.

  -  Philippe le Bel impose un candidat français, Clément V, en 1305. De puissance rivale qu’elle était, la papauté devient alors l’alliée du roi de France (procès des Templiers, installation du pape en Avignon).

  -  Le pontificat de Jean XXII (1316-1334) est marqué par une reprise de la lutte contre l’Empire germanique. Louis de Bavière investit Rome les armes à la main et y impose un éphémère antipape à sa botte, Nicolas V.

  -  La diminution de puissance que subit la papauté pendant son séjour à Avignon, et bien plus encore pendant le grand schisme (1378-1417), accentua l’asservissement de l’Inquisition à la monarchie des Valois. (Jean Guiraud, L’Inquisition médiévale, page 229)

  -  Le procès de Jeanne d’Arc (1431) est un procès voulu par le pouvoir politique. Les religieux utilisés étaient à la solde des anglais et des bourguignons.

  -  XVe s. Les souverains européens cherchent à créer des églises nationales dont ils auraient naturellement pris la direction (H.C. n°3, p. 81)

  -  Louis XII lance en 1510 une violente campagne contre le pape dans une « Assemblée de l’Eglise gallicane », tenue à Tours. L’année suivante, il réunit un concile schismatique à Pise, puis à Milan, chargé de mettre au pas le Pontife légitime.

  -  En 1527, l’armée de Charles Quint envahit et pille Rome. 147 gardes suisses sont tués en protégeant Clément VII.

  -  En 1532, François Ier, menace le Pape d’un concile général, d’une intervention armée en Italie et d’un embrasement universel en Allemagne s’il ne décide pas en faveur du divorce d’Henri VIII.

  -  Henri II, en 1551, interdit aux évêques français de se rendre au Concile de Trente. Il appelle les flottes turques sur les côtes des Etats de l’Eglise pour qu’elles l’aident à obtenir la soumission du pape.

  -  Entre 1673 et 1693, conflit entre Louis XIV et Innocent XI au sujet de la régale, droit qu’avait le roi de France de toucher les bénéfices des évêchés vacants et d’y faire les nominations ecclésiastiques. Le roi étend arbitrairement ce droit à tous les évêchés du royaume. Le pape refuse de donner l’investiture aux évêques présentés par louis XIV.

  -  Thomas More est décapité en 1532 pour s’être opposé à Henri VIII, roi d’Angleterre, dans l’affaire de son divorce.

  -  Joseph II, empereur germanique (1741-1790) met l’Eglise sous tutelle sans tenir compte des droits du Saint-Siège. Les religieux et les moines sont jugés inutiles (= Joséphisme). Les ordres contemplatifs sont chassés de Bohême.

  -  En France, les dérives du gallicanisme font que la hiérarchie religieuse est associée et soumise au pouvoir politique.

  -  Sous le Directoire, la France envahit les Etats de l’Eglise (1797). En 1798, Pie VI est arrêté et exilé à Valence où il meurt l’année suivante.

  -  En 1801, Concordat entre Napoléon et Pie VII. Les évêques sont désignés par le gouvernement et nommés par le chef de l’Etat. Le pape leur accorde l’investiture canonique.

  -  Ne pouvant obtenir le droit de nommer les évêques sans recourir au pape, Napoléon envoie Pie VII en captivité de 1809 à 1814. En 1811, par un concile, il soumet les évêques français qui doivent alors entériner la désignation des évêques par l’Empereur.

  -  1905 : la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, en mettant fin au Concordat de 1801, accorde au pape une liberté dans la nomination des évêques dont il n’avait jamais joui auparavant.

 

31 juillet 2015

LA CONTROVERSE DE VALLADOLID

  Selon le scénario de Jean-Claude CARRIERE dont fut tiré une pièce de théâtre, puis un téléfilm à succès, le débat de 1550-1551 avait pour but de déterminer si les Indiens étaient des hommes et avaient une âme. Pourtant, cette question n’a jamais été débattue ou même posée lors de la véritable Controverse qui opposa Las Casas à Sepulveda. C’est une fabrication !

  Selon les termes de l’époque, la Controverse avait à l’origine pour objet de « traiter et parler de la manière dont devaient se faire les conquêtes en Amérique, pour qu’elles se fassent avec justice et en sécurité de conscience ». Dans un premier temps on discuta beaucoup pour « savoir s’il était licite pour sa Majesté de faire la guerre aux Indiens avant que la foi soit prêchée ». Enfin on laissa de côté la mise en cause des conquêtes pour ne s’intéresser qu’à leurs fruits religieux, nationaux et d’élargissement de la connaissance de la Terre. Concernant les Indiens, le débat ne porta que sur les moyens de leur évangélisation et de leur promotion à la civilisation qui en découlait. 

  Il est à l’honneur de l’Espagne et de Charles Quint d’avoir fait cet examen de conscience de la légitimité des entreprises menées outre-mer alors que la conquête était en cours. Lewis Hanke, historien de la colonisation sud-américaine : « Ce fut en 1550, l’année même où l’Espagnol était arrivé au zénith de sa gloire. Jamais probablement, avant ou après, un puissant empereur n’ordonna, comme alors, la suspension de ses conquêtes, pour qu’il fût décidé si elles étaient justes … Aucune autre nation coloniale ne fit tant d’efforts, avec tant de constance et même de véhémence, pour déterminer le traitement juste qui devait être donné aux peuples indigènes placés sous sa juridiction ». Et Octavio Paz : « Au contraire de la cupidité, qui est de tout temps et de tout lieu, le désir véhément de convertir n’apparaît pas dans toutes les époques, ni dans toutes les civilisations. Or, ce désir véhément est ce qui donne physionomie à cette époque de la conquête. » 

  L’image donnée de la confrontation est très manichéenne. D’un côté, le bon, Las Casas et de l’autre, le mauvais, Sepulveda. Les témoignages suivants permettent de nuancer.

  Connaughton : « On accuse à juste titre LAS CASAS d’exagérations, inventions fantaisistes et interprétations méta-historiques ». Losada : « Las Casas imputait à son adversaire des intentions et des théories auxquelles celui-ci n’avait même pas songé ». Las Casas conteste la légitimité de la conquête et, pour donner plus de poids à son argumentation, exagère beaucoup les cruautés des conquérants.

   Concernant SEPULVEDA, il est normal que l’homme contemporain soit choqué par les termes de « barbares », de « serfs ou esclaves par nature », de « à peine hommes » qu’il utilise à propos des Indiens. Néanmoins, cela ne signifie pas, selon lui que les Indiens devaient être réduits en servage ou en esclavage. Il propose à leur égard une attitude d’humanité en quelque sorte familiale, faite d’autorité éducatrice ou protectrice. Il écrit : «  Il n’est pas légitime en quelque manière que ce soit de dépouiller de leurs biens ou de réduire en esclavage les barbares du Nouveau Monde que nous appelons Indiens ». Il n’a jamais dit, comme le prétend Las Casas qu’il fallait « se jeter à coups de lance et d’épée » sur les Indiens, et « de cette façon les convertir à la foi ». Tout au contraire, dans son Democrates second, il n’a cessé de s’opposer au baptême par la force, et de souligner que «  la religion chrétienne ne doit pas être prêchée par la violence, mais par l’exemple et la persuasion ».

Sepulveda justifie les guerres de la conquête par la nécessité de mettre un terme aux crimes commis par les Indiens et de libérer leurs victimes potentielles. Il faut garantir également aux missionnaires qu’ils ne seront pas tués par les Indiens qui s’opposent à la prédication. D’où la nécessité, selon lui de réaliser la pacification : «  Il n’existe pas d’autre méthode sûre pour faciliter et rendre effective la prédication de la foi que de soumettre les Indiens à l’autorité espagnole. »

  Sepulveda est un humaniste qui revendique ce que l’on appelle maintenant le droit d’ingérence pour mettre fin à des atrocités bien pires encore, c’est-à-dire les sacrifices humains institutionnalisés par la religion aztèque et qui suscitaient des guerres périodiques pour obtenir les prisonniers nécessaires à ces sacrifices, tandis que Las Casas se résignait à ces sacrifices, au nom du droit à la différence. 

  A propos des sacrifices, on peut parler d’hécatombe. La seule inauguration du grand temple aztèque de Mexico coûta la vie à des centaines de sacrifiés. Il y avait les sacrifices d’enfants où on leur arrachait leur cœur encore palpitant afin d’obtenir les faveurs du dieu de la pluie. Il y avait les sacrifices de jeunes gens élevés spécialement comme on engraisse les animaux avant de les tuer, et dont on arrachait le cœur palpitant  au sommet des temples-pyramides. Puis on les précipitait au bas des gradins, et on leur coupait la tête qu’on piquait sur un pieu, le corps lui-même était dépecé et mangé. Il y avait offerts au dieu Soleil, les sacrifices massifs de prisonniers auxquels on arrachait pareillement le cœur. Il y avait les sacrifices très fréquents au dieu du feu, des prisonniers recouverts d’une poudre qui leur faisait perdre connaissance et qu’on jetait sur un grand tas de braises ardentes, pieds et mains attachés, pour les griller avant de les consommer. 

  Quel est l’apport espagnol ? L’anthropophagie, les immolations et guerres sacrificielles, les oppressions et massacres intertribaux ont été éradiqués totalement d’Amérique par l’évangélisation. Le fer, le blé, l’orge, les chevaux, les mules, les ânes, bœufs, brebis, chèvres, porcs, une grande variété d’arbres, une véritable agriculture avec labours et fumure ont été introduits. L’utilisation de l’écriture que les Indiens ignoraient. La religion chrétienne, des lois nouvelles, un métissage physique et mental ont fait naître un nouveau peuple plus ouvert sur la fraternité et le progrès humain. Selon Octavio Paz, mexicain, fils d’un métis d’Indien et prix Nobel de littérature : « dès  la seconde moitié du XVIème  siècle jusqu’à la fin du XVIIIème, la Nouvelle Espagne fut une société stable, pacifique et prospère ». 

  On peut comparer avec l’Afrique où l’évangélisation plus purement religieuse a laissé subsister  le substrat tribal avec ses oppressions et massacres. Partout des ethnies africaines dominantes tendent encore à y monopoliser les pouvoirs à leur profit.

  Source principale : Jean Dumont, La vraie controverse de Valladolid (1995)

  

30 juillet 2015

POURQUOI LES CROISADES ONT-ELLES EU LIEU ?

        

  A l’époque, on ne parlait pas de « croisé », de « croisade », mais de pèlerins, d’expéditions de Jérusalem, de route du sépulcre.

  La présence chrétienne en Terre Sainte est bien antérieure à ces expéditions. Elle remonte évidemment au temps du Christ. A cela s’ajoute les pèlerinages dont la trace la plus ancienne est datée à 333. Au IVème siècle, il existe déjà un nombre important de monastères, d'églises et d'hospices pour accueillir les pèlerins à Jérusalem.  Des régions voisines, comme l’Egypte, l’Afrique du Nord, la Turquie et la Syrie sont par ailleurs des chrétientés très prospères.

Les raisons qui poussaient les chrétiens à partir en pèlerinage étaient les suivantes :

  1. Etre en marche vers une autre vie, s’arracher à soi-même pour suivre quelqu’un d’autre : le Christ.
  2. Une idée de rachat, de pénitence.
  3. Le besoin de voir, de toucher par soi-même les Lieux Saints, la place où le Christ avait vécu. 

  Progressivement, à partir du VIIème siècle, avec l’arrivée de l’islam, les chrétiens vont avoir à subir des exactions. Lorsque celui-ci apparaît, le bassin méditerranéen est en grande partie chrétien depuis plusieurs siècles sans que cela soit dû à la guerre. L’islam en revanche, dès la révélation coranique, part en guerre contre ceux qu'ils considèrent comme infidèles à la nouvelle religion. A la mort de Mahomet en 632, les musulmans contrôlent la moitié de l’Arabie Saoudite. Tombent successivement la Syrie (634-637) Jérusalem (638) l’Egypte (642), les provinces des empires perses et byzantins. L’Afrique du Nord qui compte de très nombreux diocèses est entièrement conquise en 701. Puis, c’est le tour de l’Espagne avec le franchissement de Gibraltar en 711 et des Pyrénées en 717. Suivent encore la Provence (719) et la Bourgogne (725). Partout ce sont destructions d’églises, d’abbayes, pillages de villes, enlèvement de populations livrées à l’esclavage. Dans la même période, la conquête se poursuit jusqu’au nord de l’Inde et aux portes de la Chine (650-700). La Sicile est occupée en 830 et Rome est pillée en 846.

  Les pèlerins qui se rendent en Terre Sainte vont être rançonnés, dépouillés, vendus comme esclaves ou massacrés par les sarrasins. Il faudrait aussi parler de la dhimmitude, situation d’infériorité et de contraintes diverses imposée sur leurs propres terres aux chrétiens vaincus. En 1009, le calife Hakim se met à pourchasser chrétiens et juifs et fait détruire toutes les églises et tous les monastères en Palestine. Le Saint Sépulcre est rasé en 1010. Le massacre de pèlerins le plus important est peut-être celui de 1065. Cette année-là, Gunther, l’évêque de Bamberg en Allemagne emmène 12000 fidèles, la plupart sans armes. Une troupe de bédouins surgit alors et entame un massacre qui durera trois jours.

  En 1071, c’est l’invasion  par les turcs seldjoukides qui s’emparent de l’Arménie, puis de Jérusalem en 1073. En 1074, les byzantins de plus en plus menacés demandent de l’aide au Pape Grégoire VII. Nicée tombe en 1081, Antioche en 1084.

  C’est par rapport à tous ces évènements qu’il faut comprendre la décision du Pape Urbain II, au Concile de Clermont, en 1095, de lancer un appel  pour la reconquête de la Terre Sainte. La cause des croisades est d’abord humanitaire. C’est un acte de légitime défense. C'est la réponse à un problème humain lié à des circonstances historiques précises. Elles ne sont pas dans leur principe une manifestation d’intolérance ni une guerre sainte dans le but d’imposer la foi aux infidèles, mais bien plutôt une solidarité avec des personnes innocentes opprimées. Que feraient les musulmans si les chrétiens occupaient La Mecque, en interdisaient l’accès aux pèlerins et detruisaient les mosquées?

  Il est important de préciser que si l’islam est parti en  guerre sainte -le djihâd-, dès le temps du Prophète, le christianisme, pour sa part, n’a jamais repris cette notion à son compte. La guerre est toujours restée incompatible avec le message du Christ. La seule guerre que l’Eglise admette, c’est la  guerre juste , une guerre purement défensive à laquelle on ne peut se résoudre qu’après avoir épuisé tous les autres moyens.

 

 

Publicité
<< < 1 2
Eglise, vérité et humanité
Publicité
Eglise, vérité et humanité
  • Vous vous posez des questions sur l'Eglise : sa foi, sa pensée, son histoire, son rapport à la science. Ce blogue animé par un professeur de philosophie, Stanislas Grymaszewski, vous apporte des clarifications à propos de sujets qui font difficulté.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Publicité